mercredi 17 août 2011

EVERYTHING IS SECRET IN BURUNDI


« Ibanga » (le secret – en kirundi) est un mot clé pour comprendre la culture de ce petit pays de montagnes enclavé au coeur de l'Afrique qu'est le Burundi. Quant à moi, avant d'attérir ici, j'avais imaginé une culture exhubérante et extravertie. Je me souvenais du son des tamtams décrits par tant d'écrivains, ces tamtams de l'Afrique qui permettaient de diffuser les nouvelles plus vite que le vent.

Tout est très différent ici, tout du moins dans le principe. Le secret a ici un sens bien particulier. Il ne s'agit pas seulement de l'information, mais surtout des émotions. D'aucuns disent que les Barundis sont hypocrites et ne disent jamais ce qu'ils pensent vraiment, qu'ils approuvent tout en face et critiquent tout par derrière. La réalité est bien plus complexe.

Un petit exemple ? C'est très simple. Voyez les surnoms d'un grand nombre de partis politiques au Burundi : CNDD-FDD Abagumya-banga, UPD Zigami-banga, etc. Tous ces noms célèbrent « ceux qui savent garder le secret ». Curieux pour des partis politiques dont l'objet est tout de même de conquérir le pouvoir pour gouverner et donc gérer la chose publique. Alors que je demandais plus d'explications sur ce qui me paraissait une aberration incompréhensible, on m'a expliqué qu'il s'agissait moins de la capacité à savoir garder des secrets – qui pourtant, il est vrai, est une qualité indispensable pour obtenir le pouvoir et surtout le conserver – que de la qualité de savoir contenir et contrôler ses émotions et ne pas se laisser aller à des coups d'éclats. Voilà un principe de la pratique politique qu'un certain président de la République française en 2011 ferait bien d'étudier de plus près, n'est-ce pas ?!

De fait, la culture du secret, à l'inverse de ce qui s'observe aujourd'hui dans les sociétés occidentales, a une connotation très positive chez les Barundis. On raconte que le roi Mwezi Gisabo (fin XIXe siècle – début XXe siècle), alors qu'il était pourchassé par le colonisateur allemand, s'était réfugié sur une colline à quelques kilomètres de la capitale royale Muramvya. Les habitants de la colline cachèrent si habilement leur souverain que les Allemands y passèrent sans le trouver. En signe de reconnaissance pour avoir su « garder le secret » de sa présence parmi eux, Mwezi Gisabo accorda aux habitants l'honneur de pouvoir nommer leur colline « Banga ».

Aujourd'hui encore, un homme cherche à épouser une femme « discrète », qui n'ira pas crier sur tous les toits les problèmes du ménage ! Autre exemple : devant des invités, les enfants bien éduqués ne parlent de choses ménagères à leurs parents qu'à l'oreille. Une chose qui nous semblerait à nous d'une impolitesse inqualifiable !

À ce trait de caractère tout à fait typique des Barundis, on trouve bien certains avantages. Dans la rue, il est très facile de reprérer quelqu'un qui a trop bu à plusieurs mètres de distance : c'est le seul qui crie en se tordant de rire et en faisant de grands gestes ! Mais surtout, l'obsession de fuir les conflits limite considérablement les crises personnelles dans le travail, l'ambiance y est presque toujours assez bon enfant grâce à l'incroyable faculté (dont nous avions déjà parlé) des Barundis à rire de tout.

Cependant, la liste des inconvénients reste à mon avis plus longue que la précédente. De fait, dans les relations de travail comme dans la vie privée, il est très difficile d'obtenir des critiques franches, ce qui rend parfois la progression professionnelle et/ ou personnelle assez difficile. On se sent souvent livré à soi-même ! De plus, le sceau du secret qui s'appose peu ou prou sur toutes les conversations a tendance à créer d'insurmontables obstacles à la circulation de l'information. D'où de terribles pertes de temps à chercher une information, des doublons, des projets qui restent en suspens plusieurs semaines parce qu'on ignore que certaines décisions ont été prises, etc. Bref, une culture du secret qui ne facilite pas la communication et me semble être un frein culturel d'importance pour le développement du pays.

mercredi 3 août 2011

TRADITION AND MODERNITY IN BURUNDI


La tension latente que l'on sent entre tradition et modernité au Burundi semble refléter une tension commune à la plupart des cultures africaines. En effet, avec la décolonisation, la tradition est devenue ce rempart infranchissable contre l'acculturation par la culture dominante de l'ancien colonisateur. Elle a été défendue en bloc, sans distinction, au nom du relativisme culturel, nouvel excès idéologique qui a succédé à la hiérarchie des civilisations et au drawinisme culturel.

Mon boulot de professeur d'université a cela de passionant qu'il me met en permanence au contact des individus les plus concernés par cette tension : les jeunes ! De fait, à chaque débat avec mes étudiants sur des questions de société tel que « faut-il légaliser la prostitution? » ou « faut-il dépénaliser l'homosexualité ? (pénalisée au Burundi depuis la réforme du code pénal de 2009), l'argument du respect de la coutume burundaise surgit immanquablement.

Ces jeunes, contrairement à ceux de chez nous, ne trouvent rien de « cool » à se rebeller contre la tradition et les coutumes de leurs parents. Au contraire, plus vous vous conformez à ces règles sociales, plus vous attirerez l'admiration et la sympathie de vos camarades et de la société toute entière. Drôle de schéma par rapport à la jeunesse occidentale ! Ici, les jeunes aiment à entretenir la tradition. J'en veux pour preuve l'engouement de nombre d'entre eux pour l'art des tambourinaires ou pour les danses traditionnelles. Chaque université a sa troupe de joueurs de tambours et son club de danse.

La société dans son ensemble valorise davantage la sagesse de l'âge que l'innovation portée par la jeunesse. Être jeune, c'est être immature, voleur, menteur. Il faut entendre mes collègues parler des étudiants, à qui on ne peut rien confier, ou encore ma propriétaire vanter les mérites d'avoir un gardien d'un certain âge, les plus jeunes ayant une fâcheuse tendance à vider vos tiroirs. Voilà qui en dit long sur le conservatisme social et culturel de la société burundaise !

C'est un aspect de la culture de ce pays qui ne m'était pas apparu à priori de façon cohérente, mais au fur à mesure, je ne peux m'empêcher de voir toutes les pièces du puzzle s'assembler. En me penchant plus sérieusement sur la question, une évidence m'est apparue : l'Afrique n'a pas connu sa révolution « libertaire », son « mai 68 », son printemps de la jeunesse. Ici, les changements viennent d'en haut. Rares sont les jeunes qui se sentent la capacité ou même la légitimité pour prendre des initatives révolutionnaires. À mon avis, cette défiance vis-à-vis de la jeunesse – alors même qu'elle représente plus de 40% de la population – et des nouveautés qu'elle pourrait porter explique en partie l'inertie sociale de la société burundaise en particulier, et des sociétés africaines en général. Ça et le poids prépondérant d'une religion de la vieille école – catholique et protestante au Burundi, islamique ailleurs.

Pourtant, l'aspiration à la modernité est bien présente, il n'y a aucun doute là-dessus. D'abord parce que, même si la plupart des jeunes agissent en accord avec les coutumes, certains ne se privent pourtant pas de commentaires pour dénoncer des pratiques d'un autre temps – comme celle de chasser une fille-mère de la maison avec son enfant. Ensuite parce que la généralisation progressive de l'accès aux Nouvelles technologies de l'information et de la communication fait l'unanimité chez les burundais : vive les portables, les ordinateurs, l'internet et la télévision ! Enfin, parce qu'entre rejet et fascination, la culuture dominante – désormais américaine – a largement pénétré les pratiques culturelles de la jeunesse urbaine, notamment au travers du cinéma, de la musique et de la danse.

La tension qui résulte de cette double aspiration – au respect des coutumes et à l'entrée dans la modernité – n'est pas toujours source de conflit et produit parfois des effets aussi originauxque plaisants ! L'exemple que j'ai en tête est celui qui m'a poussé à écrire ce billet : une soirée dans une boîte en plein air à Bujumbura – le Kibira Bar pour ceux qui connaissent – où des démonstrations de danses traditionnelles sur des airs tout ce qu'il y a de contemporains alternaient avec des performances de hip hop et de salsa acrobatique ! Il reste à souhaiter qu'à l'image des discothèques de la capitale, la société burundaise, dans cette lutte silencieuse entre tradition et modernité, saura garder le meilleur des deux!

lundi 1 août 2011

BEING A YOUNG FRENCH LIBERAL IN 2011 IN BURUNDI

« Il n’est que 11 heures et j’ai déjà mal au cœur ». C’est la pensée qui m’est venu à l’esprit lorsque j’ai découvert, horrifiée et avec un peu de retard, ce qui s’était passé à Oslo le 25 juillet 2011. Les attentats de Norvège et leur origine m’ont noué l’estomac. J’avais la gorge serrée comme en relisant l’histoire de l’Allemagne, en arrivant au chapitre de l’accession d’Hitler au pouvoir, et en y voyant déjà se profiler les chambres à gaz de 1943. Comment ne pas trouver terrifiantes les allures d’antisémitisme du début du XXème siècle que revêt l’anti-islamisme de ce jeune fasciste de la vieille école, qui s’est vraisemblablement trompé de siècle ? Comment ne pas voir dans le génocide des musulmans qu’il planifie pour 2083 des allures de « solution finale » qui font froid dans le dos? Comment ne pas avoir l’impression désagréable que l’histoire se répète dans ses aspects les plus sombres?
Pour ma part, j’ai ressenti cette même angoisse anticipatrice, ce même effroi face à l’oracle de Cassandre, face à ce qu’on ne voit pas encore et qui, pourtant, va inéluctablement arriver. Cet acte fou – et pourtant inspiré par le plus grand pragmatisme, au regard du manifeste particulièrement structuré qui l’annonce et l’explique – laisse entrevoir les conséquences à moyen terme des politiques de plus en plus paranoïaques dont nous abreuvent quotidiennement nos politiciens.
Cet acte, qui relève encore – Dieu merci – de l’exception, n’a pourtant pas produit, en particulier chez les élites politiques de la droite européenne, un véritable effet de surprise et d’incompréhension. Je dirais même plus que c’était comme si ce meurtre de masse avait suscité franchement plus de rejet de par ses conséquences que de par ses motivations. Si tant est que je doive prouver cette impression, il suffirait d’écouter le commentaire de M. Jacques Coutela, candidat du Front National aux cantonales de mars dans l'Yonne, ou même celle de Jean-Marie le Pen lui-même, sur le sujet. http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/07/31/aubry-condamne-les-propos-de-jean-marie-le-pen-sur-oslo_1554642_823448.html#ens_id=1554589
Or, si l’on se doit de condamner sans hésitation ce massacre sadique qui reflète un mépris intolérable pour la vie humaine, il convient de se pencher de toute urgence sur les motifs de tant de cruauté, motifs qui ont toute l’apparence de la plus grande rationalité. Pardonnez mon impudence, de parler d’un manifeste de plus de 1500 pages dont je n’ai lu qu’un bref résumé, mais si j’ai bien compris le principe, ce double attentat avait pour objectif d’éveiller les consciences et de lancer un grand plan de lutte contre « le génocide culturel européen » et « l’émasculation du mâle européen », en combattant par TOUS les moyens « l’islamisation et la féminisation de l’Europe » . Force est de constater que ces objectifs résonnent à mes oreilles d’historienne comme d’effrayants rappels de l’idéologie fasciste dont on sait ce qu’elle a conduit certains hommes à faire à d’autres hommes au siècle dernier, portant un sérieux coup à l’idée qu’on se faisait de la notion d’humanité.
D’aucuns diront que cette idéologie néo-fasciste n’est que le fait d’une très petite minorité, certes bruyante, mais qui ne reflète nullement l’opinion du plus grand nombre. Moi, je constate seulement que depuis 10 ans, les citoyens européens usent de leur droit de vote pour donner de plus en plus de poids politique aux extrêmes droites nationalistes, protectionnistes, corporatistes, et franchement un peu racistes. Je constate aussi que les droites libérales et démocrates européennes, derrière des sermons pro-européen et pro-mondialisation qu’elles vont dispenser de par le monde, adhèrent de plus en plus à ces idées de fermeture et d’isolationnisme et sont par exemple prêtes aujourd’hui à revenir sur les conditions de libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen.
Je constate enfin l’atmosphère de défiance et de pessimisme qui ne cesse de s’aggraver depuis quelques années dans de nombreux pays européens, et les mesures stériles mais très symboliques que les gouvernements prennent pour apaiser les peurs qu’ils alimentent eux-mêmes chez leurs concitoyens. J’en veux pour preuve l’attitude du gouvernement français, d'abord avec le discours de Genroble en 2010 : http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/07/30/ce-que-nicolas-sarkozy-a-fait-du-discours-de-grenoble_1553877_823448.html . Aujourd'hui, alors que l'UMP était arrivé au pouvoir avec un discours de lutte contre l’immigration illégale, le gourvernement annonce son intention de lutter contre l’immigration légale – conduisant par là-même – volontairement ? – à un amalgame extrêmement dangereux entre immigration et illégalité – par des mesures de limitation des emplois accessibles aux immigrés, au nom de la lutte contre le chômage. Or les visas de travail en France ne concernent que 20.000 personnes par an, le nombre d’emplois libérés par ses mesures chaque année sur l’ensemble du territoire français ne serait que de 10 à 12 000, tandis que le nombre de demandeurs d’emplois déclarés a depuis longtemps dépassé les 3 millions http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0201525732942-gueant-reduit-de-moitie-la-liste-des-metiers-ouverts-aux-etrangers-197734.php Autant dire ce que ces mesures ont autant d’effet que de pisser dans un violon.
Alors pourquoi le gouvernement se donne-t-il la peine de les prendre et surtout de les médiatiser à ce point ? Vraisemblablement pour le symbole, pour le message qu’elles renvoient aux concitoyens et aux candidats à l’immigration: « on ne veut plus d’immigrés chez nous ». Pourquoi ? Officiellement, pour donner de l’emploi aux français. Or vous avez constaté, comme moi, la profondeur de l’impact de ces mesures sur la lutte contre le chômage. Par ailleurs, permettez-moi de souligner ici l’incohérence idéologique de ces mesures, et par extension, du positionnement des deux grandes tendances politiques françaises en matière d’immigration. Explications : alors que la théorie socialiste de la lutte contre le chômage passe par le partage de l’emploi disponible (voir les principes qui ont prévalu à la mise en place des 35 heures et qui justifient aujourd’hui une lutte acharnée contre les heures supplémentaires), la gauche française a bien du mal à se positionner sur une politique migratoire cohérente, autrement dit qui devrait limiter l’immigration par le travail pour éviter de voir plus de candidats à l’emploi se partager le même gâteau. De l’autre côté, la théorie libérale de la relance économique s’appuie sur le fait que le travail des uns génère du travail pour les autres et que la création d’emplois est exponentielle. C’est bien pour cela que la droite française devrait être aux avant-postes pour défendre l’immigration par le travail, puisque le travail des immigrés génère théoriquement du travail pour les autres, y compris les français. Et pourtant …
Alors encore une fois : pourquoi ces mesures inutiles mais si chargées de sens ? Il semble qu’il s’agisse bien plus d’une tentative de préserver notre culture d’attaques imaginaires lancées par des ennemis extérieurs qui tenteraient par tous les moyens de nous atteindre de l’intérieur – ce genre d’exercices ne vous rappelle rien ? Il suffit de se pencher sur le débat – aux relents de nationalisme du plus bas étage – sur la suppression de la bi-nationalité. Après avoir dit en passant que cette mesure irait à l’encontre totale de la tendance mondiale d’acceptation de la bi-nationalité, et ramènerait la France au niveau de pays en développement comme la Tanzanie en matière de politique de naturalisation, je veux aussi souligner l’aberration du principe qui motive cette mesure : on serait moins patriote en ayant deux nationalités ? M. Sarkozy aurait-il oublié d’où vient son père ? Et si moi, je veux prendre la nationalité burundaise pour pouvoir y travailler plus facilement et pour témoigner de mon attachement et de mon engagement au service de ce pays, devrais-je donc renoncer à ma nationalité française ?
Vous voulez que je vous dise ? Je me suis toujours sentie très fière d’être française, fière de ma culture, de ma langue, de l’histoire de mon pays, de sa richesse politique et intellectuelle, de sa tradition d’accueil et de promotion des droits humains, etc. Pour moi, être française, c’est témoigner en paroles et en actes de ce que la France a de meilleur. Ces derniers temps, je dois avouer que ça devient de plus en plus difficile d’en tirer une quelconque fierté … Vous croyez que je mérite qu’on me retire ma nationalité pour cela, ou parce que je songe à prendre celle de mon pays d’adoption ? Vous croyez que je suis victime de la dilution de ma culture ? De l’immigration, de l’islamisation, de la féminisation et du multiculturalisme européens qui m’obscurcissent l’esprit?
Je finirai ce manifeste antifasciste et cet appel à l’humanisme et à l’apaisement social par une prière, que j’adresse à ceux qui nous dirigent : rendez-moi à nouveau fière d’être française, d’être européenne !! Cessez donc de prendre des mesures à la con qui nous coûtent cher, qui ne nous rapportent rien, qui créent un climat délétère de méfiance vis-à-vis de l’étranger – qui par ailleurs n’en est pas toujours un, même s’il en a l’air, hein – et sur lesquelles il faudra de toute façon revenir d’ici 10 ans pour rétablir l’équilibre démographique entre les non-actifs et les actifs qui vont payer pour leur retraite ou leur assurance chômage. Redonnez-donc à l’Europe en général et à la France en particulier, un vrai projet de société, cohérent avec les discours d’ouverture et d’intégration – humaines et économiques – qui ont animé la construction européenne et certains aspects de la mondialisation, cohérent de manière interne et surtout, qui laisse augurer un avenir paisible, rassurant et enthousiasmant !
En vous remerciant,
Cordialement,
Une citoyenne du monde en colère