lundi 1 août 2011

BEING A YOUNG FRENCH LIBERAL IN 2011 IN BURUNDI

« Il n’est que 11 heures et j’ai déjà mal au cœur ». C’est la pensée qui m’est venu à l’esprit lorsque j’ai découvert, horrifiée et avec un peu de retard, ce qui s’était passé à Oslo le 25 juillet 2011. Les attentats de Norvège et leur origine m’ont noué l’estomac. J’avais la gorge serrée comme en relisant l’histoire de l’Allemagne, en arrivant au chapitre de l’accession d’Hitler au pouvoir, et en y voyant déjà se profiler les chambres à gaz de 1943. Comment ne pas trouver terrifiantes les allures d’antisémitisme du début du XXème siècle que revêt l’anti-islamisme de ce jeune fasciste de la vieille école, qui s’est vraisemblablement trompé de siècle ? Comment ne pas voir dans le génocide des musulmans qu’il planifie pour 2083 des allures de « solution finale » qui font froid dans le dos? Comment ne pas avoir l’impression désagréable que l’histoire se répète dans ses aspects les plus sombres?
Pour ma part, j’ai ressenti cette même angoisse anticipatrice, ce même effroi face à l’oracle de Cassandre, face à ce qu’on ne voit pas encore et qui, pourtant, va inéluctablement arriver. Cet acte fou – et pourtant inspiré par le plus grand pragmatisme, au regard du manifeste particulièrement structuré qui l’annonce et l’explique – laisse entrevoir les conséquences à moyen terme des politiques de plus en plus paranoïaques dont nous abreuvent quotidiennement nos politiciens.
Cet acte, qui relève encore – Dieu merci – de l’exception, n’a pourtant pas produit, en particulier chez les élites politiques de la droite européenne, un véritable effet de surprise et d’incompréhension. Je dirais même plus que c’était comme si ce meurtre de masse avait suscité franchement plus de rejet de par ses conséquences que de par ses motivations. Si tant est que je doive prouver cette impression, il suffirait d’écouter le commentaire de M. Jacques Coutela, candidat du Front National aux cantonales de mars dans l'Yonne, ou même celle de Jean-Marie le Pen lui-même, sur le sujet. http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/07/31/aubry-condamne-les-propos-de-jean-marie-le-pen-sur-oslo_1554642_823448.html#ens_id=1554589
Or, si l’on se doit de condamner sans hésitation ce massacre sadique qui reflète un mépris intolérable pour la vie humaine, il convient de se pencher de toute urgence sur les motifs de tant de cruauté, motifs qui ont toute l’apparence de la plus grande rationalité. Pardonnez mon impudence, de parler d’un manifeste de plus de 1500 pages dont je n’ai lu qu’un bref résumé, mais si j’ai bien compris le principe, ce double attentat avait pour objectif d’éveiller les consciences et de lancer un grand plan de lutte contre « le génocide culturel européen » et « l’émasculation du mâle européen », en combattant par TOUS les moyens « l’islamisation et la féminisation de l’Europe » . Force est de constater que ces objectifs résonnent à mes oreilles d’historienne comme d’effrayants rappels de l’idéologie fasciste dont on sait ce qu’elle a conduit certains hommes à faire à d’autres hommes au siècle dernier, portant un sérieux coup à l’idée qu’on se faisait de la notion d’humanité.
D’aucuns diront que cette idéologie néo-fasciste n’est que le fait d’une très petite minorité, certes bruyante, mais qui ne reflète nullement l’opinion du plus grand nombre. Moi, je constate seulement que depuis 10 ans, les citoyens européens usent de leur droit de vote pour donner de plus en plus de poids politique aux extrêmes droites nationalistes, protectionnistes, corporatistes, et franchement un peu racistes. Je constate aussi que les droites libérales et démocrates européennes, derrière des sermons pro-européen et pro-mondialisation qu’elles vont dispenser de par le monde, adhèrent de plus en plus à ces idées de fermeture et d’isolationnisme et sont par exemple prêtes aujourd’hui à revenir sur les conditions de libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen.
Je constate enfin l’atmosphère de défiance et de pessimisme qui ne cesse de s’aggraver depuis quelques années dans de nombreux pays européens, et les mesures stériles mais très symboliques que les gouvernements prennent pour apaiser les peurs qu’ils alimentent eux-mêmes chez leurs concitoyens. J’en veux pour preuve l’attitude du gouvernement français, d'abord avec le discours de Genroble en 2010 : http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/07/30/ce-que-nicolas-sarkozy-a-fait-du-discours-de-grenoble_1553877_823448.html . Aujourd'hui, alors que l'UMP était arrivé au pouvoir avec un discours de lutte contre l’immigration illégale, le gourvernement annonce son intention de lutter contre l’immigration légale – conduisant par là-même – volontairement ? – à un amalgame extrêmement dangereux entre immigration et illégalité – par des mesures de limitation des emplois accessibles aux immigrés, au nom de la lutte contre le chômage. Or les visas de travail en France ne concernent que 20.000 personnes par an, le nombre d’emplois libérés par ses mesures chaque année sur l’ensemble du territoire français ne serait que de 10 à 12 000, tandis que le nombre de demandeurs d’emplois déclarés a depuis longtemps dépassé les 3 millions http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0201525732942-gueant-reduit-de-moitie-la-liste-des-metiers-ouverts-aux-etrangers-197734.php Autant dire ce que ces mesures ont autant d’effet que de pisser dans un violon.
Alors pourquoi le gouvernement se donne-t-il la peine de les prendre et surtout de les médiatiser à ce point ? Vraisemblablement pour le symbole, pour le message qu’elles renvoient aux concitoyens et aux candidats à l’immigration: « on ne veut plus d’immigrés chez nous ». Pourquoi ? Officiellement, pour donner de l’emploi aux français. Or vous avez constaté, comme moi, la profondeur de l’impact de ces mesures sur la lutte contre le chômage. Par ailleurs, permettez-moi de souligner ici l’incohérence idéologique de ces mesures, et par extension, du positionnement des deux grandes tendances politiques françaises en matière d’immigration. Explications : alors que la théorie socialiste de la lutte contre le chômage passe par le partage de l’emploi disponible (voir les principes qui ont prévalu à la mise en place des 35 heures et qui justifient aujourd’hui une lutte acharnée contre les heures supplémentaires), la gauche française a bien du mal à se positionner sur une politique migratoire cohérente, autrement dit qui devrait limiter l’immigration par le travail pour éviter de voir plus de candidats à l’emploi se partager le même gâteau. De l’autre côté, la théorie libérale de la relance économique s’appuie sur le fait que le travail des uns génère du travail pour les autres et que la création d’emplois est exponentielle. C’est bien pour cela que la droite française devrait être aux avant-postes pour défendre l’immigration par le travail, puisque le travail des immigrés génère théoriquement du travail pour les autres, y compris les français. Et pourtant …
Alors encore une fois : pourquoi ces mesures inutiles mais si chargées de sens ? Il semble qu’il s’agisse bien plus d’une tentative de préserver notre culture d’attaques imaginaires lancées par des ennemis extérieurs qui tenteraient par tous les moyens de nous atteindre de l’intérieur – ce genre d’exercices ne vous rappelle rien ? Il suffit de se pencher sur le débat – aux relents de nationalisme du plus bas étage – sur la suppression de la bi-nationalité. Après avoir dit en passant que cette mesure irait à l’encontre totale de la tendance mondiale d’acceptation de la bi-nationalité, et ramènerait la France au niveau de pays en développement comme la Tanzanie en matière de politique de naturalisation, je veux aussi souligner l’aberration du principe qui motive cette mesure : on serait moins patriote en ayant deux nationalités ? M. Sarkozy aurait-il oublié d’où vient son père ? Et si moi, je veux prendre la nationalité burundaise pour pouvoir y travailler plus facilement et pour témoigner de mon attachement et de mon engagement au service de ce pays, devrais-je donc renoncer à ma nationalité française ?
Vous voulez que je vous dise ? Je me suis toujours sentie très fière d’être française, fière de ma culture, de ma langue, de l’histoire de mon pays, de sa richesse politique et intellectuelle, de sa tradition d’accueil et de promotion des droits humains, etc. Pour moi, être française, c’est témoigner en paroles et en actes de ce que la France a de meilleur. Ces derniers temps, je dois avouer que ça devient de plus en plus difficile d’en tirer une quelconque fierté … Vous croyez que je mérite qu’on me retire ma nationalité pour cela, ou parce que je songe à prendre celle de mon pays d’adoption ? Vous croyez que je suis victime de la dilution de ma culture ? De l’immigration, de l’islamisation, de la féminisation et du multiculturalisme européens qui m’obscurcissent l’esprit?
Je finirai ce manifeste antifasciste et cet appel à l’humanisme et à l’apaisement social par une prière, que j’adresse à ceux qui nous dirigent : rendez-moi à nouveau fière d’être française, d’être européenne !! Cessez donc de prendre des mesures à la con qui nous coûtent cher, qui ne nous rapportent rien, qui créent un climat délétère de méfiance vis-à-vis de l’étranger – qui par ailleurs n’en est pas toujours un, même s’il en a l’air, hein – et sur lesquelles il faudra de toute façon revenir d’ici 10 ans pour rétablir l’équilibre démographique entre les non-actifs et les actifs qui vont payer pour leur retraite ou leur assurance chômage. Redonnez-donc à l’Europe en général et à la France en particulier, un vrai projet de société, cohérent avec les discours d’ouverture et d’intégration – humaines et économiques – qui ont animé la construction européenne et certains aspects de la mondialisation, cohérent de manière interne et surtout, qui laisse augurer un avenir paisible, rassurant et enthousiasmant !
En vous remerciant,
Cordialement,
Une citoyenne du monde en colère


5 commentaires:

  1. C'est vrai que ce massacre en Suède, surtout manifeste qu'a écrit le tueur pour l'expliquer a des airs de Mein Kampf, et que j'ai l'impression qu'ici en France ça ne fait pas réagir tant que ça, à part les propos de Lepen qui ont provoqué quelques protestations. J'en arrive à me demander si insidieusement ce norvégien n'est pas entrain d'attendre son objectif.
    Je vais préciser que je suis un jeune burundais vivant en France depuis deux ans, je suis étudiant, en résumé je vis l'inverse de ce que toi tu vis au Burundi, le côté découverte d'un monde nouveau (ailleurs qu'à la télé), d'une autre façon de vivre, de concevoir la vie carrément, et je trouve que j'ai du mal à évoquer les événements en Norvège avec mes amis français, je me demande si au fond beaucoup n'approuvent pas, au moins le côté mise en garde du message du norvégien. Mais malgré tout pour le jeune burundais que je suis la France reste un très beau pays, et malgré la droitisation je trouve que j'ai encore plein de belles choses à découvrir dans votre pays, si je me fais pas expulser en attendant :)
    Merci pour ce coup de colère!

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  2. Merci à toi Kadogo, pour ta fidélité et ce commentaire à la fois plein de bon sens et malgré tout optimiste, je suis toujours très heureuse de te lire! Je suis désolée de n'avoir pas beaucoup publié ces derniers temps, mais je m'apprête à me rattraper! Bien à toi!

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  3. à lire: http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/08/09/de-srebrenica-a-utoya-l-esprit-de-la-guerre-civile-europeenne_1557453_3232.html#xtor=EPR-32280229-[NL_Titresdujour]-20110809-[zoneb]&ens_id=1551858

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  4. Un commentaire général :

    Je suis tombé sur votre blog par le plus grand des hasards (de clique en clique, à partir du blog This Burundian Life) et il fallait que je vous laisse ce mot pour vous dire que j'ai trouvé votre plume et réflexion superbes! Il est vrai que je suis toujours fasciné par le regard que d'autres peuples portent sur nous Burundais. Certes, c'est parfois difficile de lire certains jugements (ici en l'occurrence sur ce que vous avez qualifié de SECRET) ou votre regard sur notre MENTALITÉ, il n'en demeure pas moins, en tout cas en ce qui me concerne, que ça reste très enrichissant. Surtout quand l'auteur (e) a un grand talent pour raconter ... et vous en avez un !

    Vous m'avez tout de suite fait penser aux écrits des missionnaires et explorateurs... mais en mieux parce que votre réflexion ignore l'obsession racialiste qui était la leur !

    J'ai aussi apprécié vos valeurs humanistes (et donc universelles). En tout cas, je ne regrette pas les quelques minutes que je viens de passer à vous lire : une agréable et belle découverte (et rencontre virtuelle dirais-je).

    Amahoro!

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  5. Merci beaucoup pour votre commentaire, qui me va droit au coeur! Heureuse que vous ayez passé un bon moment sur ce blog! Je retourne au Burundi pour les vacances de Noël, ce sera peut-être l'occasion d'un nouveau post... Gira amhoro!

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