dimanche 11 septembre 2011

READING AMAZING LITERATURE IN BURUNDI

Aujourd'hui, petit aparté littérature politique. Je viens de découvrir un auteur lumineux, Abelwahab Meddeb, penseur musulman, détracteur de Tariq Ramadan (notez qu'on connait bien plus que le second que le premier, comme quoi les médias français nous montent bien ce qu'ils veulent que l'on voit de l'islam  français) et qu'il me semblerait judicieux de lire (si vous souhaitez en savoir plus: http://fr.wikipedia.org/wiki/Abdelwahab_Meddeb). 

L'article analyse la difficulté d'acclimatation de l'islam dans le France d'aujourd'hui. C'est extraordinaire d'intelligence, j'espère que vous apprécierez. 
 
Ne pas jouer identité contre identité
Par Abdelwahab Meddeb

La place de l'islam dans l'Europe oblige à interroger à nouveaux frais quelques « invariants » de la culture européenne et de l'islam. La réussite politique est née en Europe de genèse chrétienne qui a assuré de manière spectaculaire la grande séparation entre la religion, la politique et le droit. Mais, dans l'islam, si la consubstantialité du politique et du religieux a longtemps été forte, elle n'en constitue pas moins une donnée qui peut ête déconstruite.

Je crois qu'en Europe, aujourd'hui, il faut abandonner tout autant l'idée de la religion vraie que celle du dialogue inter-religieux, inopérant, pour vivre « l'éthique de la substitution », se mettre à la place de l'autre. C'est une belle éthique parce qu'elle appartient aux trois traditions monothéistes. La tradition chrétienne, de Joseph de Maistre à Huysmans et Bloy, va compter avec Louis Massignon, un chrétien qui s'est vu dans le miroir de l'islam. Massignon sait en effet que la substitution est aussi un terme technique du soufisme. De même que de nombreux chrétiens, dans la tradition de Charles de Foucauld, vivent cette éthique de la substitution dans leurs rapports avec l'Islam. Lévinas, lecteur de Bloy, a été instruit de la substitution et en fait le concept fondateur de son éthique, en accordant une place essentielle à l'hospitalité, à l'étranger et à l'autre. Quand leur peur de disparaître et le repli identitaire menacent les trois traditions monothéistes, il est bon de rappeler les vertus de l'éthique de la substitution.

Le lit du fanatisme

Mais qu'est-ce que cela veut dire, concrètement, aujourd'hui, dans l'horizon d'une réflexion sur la place et la vocation de l'islam dans les sociétés européennes contemporaines ? Aujourd'hui, des musulmans français écrivent sur l'islam avec une volonté d'adapter leur « être-là » face à cet impossible qu'est censé représenter l'islam par rapport à leur culture et à leur vie dans la société française. Ils prônent un islam moderne, un « islam des Lumières » même si l'expression est galvaudée. Ils sont même en train de changer de catégories de pensée, et pas seulement en raison de leur appartenance à l'ère postcoloniale. Leur contribution dépouille l'orientalisme du soupçon politique. L'islamologie n'est plus une science orientaliste, mais une science internationale à laquelle participe de nombreux chercheurs d'origine musulmane. C'est un immense progrès. L'islam est une affaire européenne.

C'est aussi une affaire française. Mais quand les Français ont peur de l'islam, comme ces temps-ci, ils oublient que ce qui constitue la France, c'est une orthogonale où se croisent, dans les années 1940, l'Algérie et l'Allemagne. La question allemande a été réglée par l'Europe. La question algérienne travaille, en revanche, sourdement notre réel à travers la présence inquiète de l'islam. J'en veux pour preuve le rapport parlementaire de Tocqueville sur l'Algérie. Son mérite, tout colonialiste qu'il fût, est d'avoir pensé l'islam comme une question française. Dans son rapport, il explique que la France ne sait pas gérer l'islam car elle traite avec un personnel culturel musulman dont on pardonne l'ignorance en raison de son obéissance. Selon le diagnostic de Tocqueville, la France est en train de déshonorer les principes de 1789 en Algérie. Et il lance cet avertissement : une politique saine à l'égard de l'islam devrait être double ; elle devrait rappeler, d'abord, aux musulmans ignorants et amnésiques la complexité et la sophistication de leur tradition théologique ; les initier ensuite à une sorte de dispositif juridique pour les acclimater à l'esprit du droit français, en leur démontrant que l'adhésion à ce droit est conciliable avec leur foi. Or, tout au long de l'histoire du colonialisme, c'est le contraire qui a été prôné. Cette politique contribue fortement à l'inadaptation des musulmans d'aujourd'hui. Lors des émeutes de novembre 2005, nous avons beaucoup parlé des départements du 92 et du 93. Il est piquant que ces deux chiffres-là, précisément, aient désigné également, jusqu'en 1962, les départements d'Oran et de Constantine...

Tocqueville terminait d'ailleurs son rapport en notant que, en privilégiant l'ignorance et l'obéissance, on faisait le lit du fanatisme, et que le fanatisme, on ne savait ni ne pourrait le gérer. En France, en 2011, il n'est pas malin de continuer à jouer identité contre identité. Les identités sont mêlées, on n'a pas à situer l'identité française en confrontation avec l'identité islamique : c'est faire le jeu des lepénistes d'une part, des islamistes d'autre part, au moment où le printemps arabe n'a cessé de brouiller les frontières identitaires.

À lire : La Maladie de l'islam (Seuil)


Ma conclusion: les nationalistes européens et les islamistes wahabbistes partagent les mêmes convictions: l'islam est incompatible avec la modernité politique et sociale. Chaque partie crient à la guerre de conquête lancée par l'autre, et ils ne cessent de se donner mutuellement raison. Entre les deux, les musulmans modérés, en recherche identitaire, ne savent alors plus à quel saint se vouer. L'Europe a une responsabilité historique d'aider l'islam à évoluer, plutôt que de le contraindre à un repli identitaire qui finira par fracturer irrémédiablement ses sociétés.

Il faut être  clair: ou l'on assume le fait que l'Europe est devenue un terre de brassage culturel et on fait ce qu'il faut pour ce que ça marche; ou on fait comme les israéliens: on vire tous les arabes (même si ils sont ici chez eux) pour recréer une société homogène. Moi, j'ai choisi le projet de société qui me fait rêver! et vous?

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